Le 5ème Congrès de l’UNI Europa « Avancer par la négociation collective » vient de se tenir du 27 au 29 avril en version digitale. Ce Congrès représente 7 millions de travailleurs des services, épine dorsale de la vie économique et sociale européenne, près d’un millier de délégués issus de 272 syndicats dans 50 pays.

L’ouverture du Congrès UNI Europa n’a pas occulté le sujet de la crise sanitaire mais a mis l’accent sur la nécessité de convergences en Europe, de la négociation collective et du renforcement du dialogue social. « Un dialogue social tripartite très actif est crucial pour régler les conflits et résoudre les problèmes de travail » selon Ana Mendes Godinho, la Ministre portugaise du Travail, de la Sécurité, de la Solidarité et de la Sécurité Sociale.

La priorité de la négociation collective

Oliver Roethig, secrétaire régional de UNI Europa, a décrit les négociations collectives comme essentielles pour sortir de la crise : « la négociation collective est au cœur des sociétés démocratiques et du progrès social ». L’objectif syndical partagé lors des travaux, se concentre sur trois aspects :

  • générer une forte syndicalisation qui participera à une meilleure protection des travailleurs et permettra de meilleures négociations,
  • lutter pour un cadre juridique et politique européen afin de de pouvoir mener sereinement les négociations collectives,
  • exiger des multinationales à s’engager activement en soutenant les négociations collectives dans toutes ses implantations et exhorter les autres entreprises à agir de même.

Parallèlement, une importance particulière doit être apportée aux femmes et aux jeunes dont nous devons améliorer les conditions de travail et leur représentation dans les stratégies de négociation collective. Selon Chema Martinez des Commissions Ouvrières espagnoles, « l’élargissement de la couverture des négociations collectives est le moyen de construire un avenir équitable. Il est important de lutter contre les inégalités qui font fondre la solidarité ».

L’unité syndicale se doit d’être réaffirmée de même que le renforcement de la solidarité au lendemain de l’accord du 24 décembre entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni. Le Brexit ne doit pas être une tentative de fracture de l’unité des travailleurs européens. C’est ce que le Congrès a rappelé en soutenant une motion en faveur du renforcement de l’unité syndicale européenne. Il est clair que le gouvernement anglais envisage une économie de type Singapour sur Tamise (bas salaires et faible règlementation), non seulement préjudiciable pour les salariés britanniques mais constituerait une brèche dans toute l’Europe.

Pour conclure, selon Christy Hoffman, Secrétaire Générale de UNI, « Chaque entreprise, en particulier chaque multinationale, doit savoir que ses travailleurs peuvent s’engager dans des négociations collectives, où qu’ils se trouvent dans le monde. Et qu’il y a des conséquences à ne pas respecter ces droits ».

La nécessité de la syndicalisation

Sharan Burrow, secrétaire générale de la Confédération Européenne des Syndicats a lancé le débat en disant que « l’Europe doit franchir une étape très importante en réparant le socle social afin que les travailleurs puissent avoir un emploi dans la dignité ». Ainsi afin d’influer demain sur les salaires et les conditions de travail, il faut des syndicats forts. L’Europe, bastion des valeurs démocratiques, subit un recul de nos acquis de par les nombreuses politiques d’austérité contre les salariés et les syndicats. De surcroît, les espaces démocratiques se réduisent.

Comme le défend, Moira Murphy de Mandate (Irlande) « la participation des membres est le point central. Nous nous efforçons de donner aux membres les moyens de s’approprier tous les aspects de leur syndicat – stratégie, recrutement, prise de décision et action ».

Parallèlement, de nouvelles tendances apparaissent comme l’émergence de mouvements en faveur de la justice sociale, de l’action climatique, d’un avenir plus juste pour tous, de mouvements sociaux unitaires (contre les réformes de retraite). Deux axes de travail ont été retenus par les délégués :

  • des actions transverses : syndicaliser dans des entreprises comme Amazon, échanger les informations entre affiliés en vertu du slogan « penser global, agir local », réduire les inégalités salariales, agir sur les secteurs faiblement représentés syndicalement, syndicaliser les cadres, organiser un forum annuel pour échanger nos bonnes pratiques, soutenir les campagnes de syndicalisation chez Amazon, Téléperformance, etc. ou développer les alliances syndicales,
  • des actions ciblées en élaborant des campagnes, en coopérant avec les mouvements sociaux et en soutenant la formation syndicale européenne, partout en Europe.

L’impact de la crise sanitaire

« La pandémie ne doit pas affaiblir les droits des travailleurs », c’est le message de Franck Bsirske, Président sortant de UNI Europa. Tous n’ont pas été affectés de la même manière : en première ligne les travailleurs essentiels, ceux du tourisme qui n’ont pu travailler, les autres contraints au télétravail, etc.

Esther Lynch, Secrétaire Générale adjointe de la CES a rappelé : « nous devons dénoncer les gouvernements et les politiciens qui affirment qu’ils ne laisseront personne de côté, mais qui, dans le même temps, tentent de supprimer les droits des travailleurs et des syndicats ».

Notre société va évoluer avec la numérisation, l’urgence climatique, l’externalisation d’un nombre croisant de fonctions. Pour y faire face, UNI Europa défend la négociation collective et le dialogue social.

Plusieurs pistes ont été discutées pendant le Congrès comme de revaloriser les conditions de travail et de salaire de travailleurs essentiels, combattre les inégalités structurelles auxquelles sont confrontées les femmes, les jeunes, les minorités ethniques et autres victimes de discrimination. La santé et la sécurité des travailleurs doivent donc être correctement protégées.

« Il ne s’agit pas seulement d’applaudir les travailleurs essentiels mais d’affirmer clairement la valeur de leur travail pour la société. La meilleure façon de revaloriser leur travail est de promouvoir la négociation collective » a réaffirmé Nicola Schmit, commissaire à l’emploi et aux droits sociaux à la Commission Européenne.

Les dispositifs d’urgence ne doivent pas être le moyen d’organiser le travail à distance. Ce dernier nécessite un droit européen comme le droit à la déconnexion, le respect de la vie privé, de contacter les salariés des entreprises notamment dans ce contexte virtuel. UNI Europa a rappelé que trop de dirigeants se soustraient à leurs obligations d’information, de consultation et d’échange avec les travailleurs lors des processus de restructuration. Nous avons également soutenu la nécessité d’une obligation européenne visant à préserver nos économies, nos secteurs des services, et à réglementer afin que toutes les entreprises se conforment aux obligations vis-à-vis des droits des salariés ou celles liées à la fiscalité (Amazon, Google, Facebook).

La crise sanitaire a accentué la nécessité pour les syndicats d’être en première ligne pour préserver les salariés et intensifier la syndicalisation.

Renforcer l’aspect juridique de la négociation collective

Si la négociation collective est un élément primordial pour enraciner la démocratie, pour rendre la société plus juste, plus inclusive et pour combattre les inégalités, nous devons veiller à ce que les législations et les politiques de l’Union Européenne, y compris les accords commerciaux, soutiennent la négociation collective au sein même de nos pays. Ainsi, Jeans Saverstam, du syndicat SEKO (Suède) et Président de Post et Logistique rappelle que « la nouvelle directive postale de l’UE doit s’adresser aux postiers et aux citoyens européens – et non au marché ».

Les délégués du Congrès UNI Europa ont pleinement soutenu la motion visant à contraindre l’Union Européenne à garantir à travers une négociation collective loyale, une répartition équitable de la valeur ajoutée aux travailleurs mais également assurer la mise en place de représentations de travailleurs dans les entreprises.

Le Congrès a rappelé qu’il faut tendre à une réforme des règles budgétaires européennes (non à l’austérité), respecter les articles du traité lié au dialogue social européen et mettre en œuvre le socle européen des droits sociaux.

Les délégués ont insisté sur le combat contre les politiques et législations antisyndicales, sur la ratification de la Convention 190 de l’OIT dans tous les pays européens, renforcer l’application et la mise en œuvre de la directive sur le détachement des travailleurs et enfin obtenir une législation sur le devoir de vigilance.

Les délégués ont défendu la nécessité que les organisations syndicales :

  • disposent d’un rôle renouvelé et renforcé en incluant le Protocole de Progrès Social dans le Traité de l’UE,
  • contrent le déséquilibre constaté entre la législation économique et la règlementation sociale et du travail,
  • garantissent des droits fondamentaux du travail, sociaux et syndicaux à tous les travailleurs quels que soient leur statut d’emploi,
  • stoppent le faux travail indépendant,
  • permettent aux travailleurs de développer leurs compétences et qualifications avec un droit applicable à l’apprentissage tout au long de la vie, des congés de formation rémunéré, etc.

Ce fut le moment dans le Congrès de rappeler la campagne à laquelle FO COM a pleinement joué son rôle en interpellant les parlementaires européens : « les marchés publics ne doivent être attribués qu’aux entreprises dans lesquelles les travailleurs sont respectés. Je soutiens la campagne #ProcuringDecentWork ! ».

Agir au niveau des multinationales

Le Congrès UNI Europa a défini le contour des actions à mener au niveau des multinationales et ainsi agir au titre du devoir de vigilance. Ces entreprises, hors de leurs frontières nationales, mènent des politiques antisyndicales et sapent les négociations collectives sectorielles. C’est pour ces raisons que UNI Europa a renforcé ses actions avec ses affiliés sur deux axes : les alliances syndicales et les comités d’entreprise européens.

Comme le disait Olive Roethig, secrétaire régional d’UNI Europa, « Amazon est le Borg (référence à Star Trek). Il assimile tout le monde, il considère ses ouvriers comme une extension de ses algorithmes ». Outre le fait de soutenir les alliances syndicales européennes (voire mondiales), les congressistes ont largement rappelé le combat contre Amazon pour de meilleurs conditions de travail, l’obligation pour Amazon de devoir payer des impôts et cesser de bénéficier de fonds et de subventions publiques.

Les délégués ont étayé la nécessité de renforcer nos alliances et notre visibilité, de promouvoir des processus exhaustifs de devoir de vigilance, d’utiliser des accords transnationaux entre syndicats et employeurs pour améliorer conditions de travail et salaires, lutter contre les pratiques de démantèlement syndical et inclure des clauses dans les accords-cadres mondiaux visant à réduire l’empreinte carbone.

Enfin, au sein des entreprises, les délégués ont rappelé l’importance de ce pouvoir syndical, en utilisant les moyens légaux pour assurer le respect des règles, en renforçant la coordination entre les affiliés, en créant une base de données SNB/CEE/SE, à travailler pour améliorer juridiquement la directive CEE, etc.

Le contexte actuel

La numérisation et la mondialisation des secteurs des services modifient le monde du travail à une vitesse sans cesse croissante. La négociation collective comme le lobbying permettent à UNI Europa de faire pression en faveur de politiques publiques et de législations positionnant les travailleurs au centre des préoccupations. L’Intelligence Artificielle ainsi que d’autres technologies représentent un potentiel devant répondre aux besoins des travailleurs : conditions de travail, compétences et formation, éthique, égalité, santé et sécurité, impact environnemental.

Les syndicats doivent être associés à la conception, au développement et à la mise en œuvre des systèmes d’IA dans les entreprises. De même, des forums d’échanges seront organisés sur l’IA et l’éthique. Pour FO COM, favoriser l’équilibre de la société passe par un réinvestissement des avantages de la technologie vers les travailleurs, l’éducation, la santé, le bien-être… La question de la gestion des données (RGPD entre autres) a été évoqué ainsi que la question des algorithmes (recrutement entre autres), leur transparence, la maîtrise des décisions automatisées. Enfin, il faut aujourd’hui identifier les besoins de formation vis-à-vis de l’IA et permettre aux salariés d’acquérir les compétences numériques et technologiques.

Parallèlement à la technologie numérique croissante, les entreprises se sont positionnées en un état permanent de restructuration et les multinationales connaissent un processus de plateformisation. Cette évolution génère de nouveaux emplois avec des conditions de travail plus difficiles et des salaires bien plus bas. Les congressistes ont rappelé la nécessité de se battre pour sauver les emplois et préserver les droits des salariés en partageant nos connaissances, créant des alliances syndicales, élaborer des stratégies de syndicalisation et soutenir des processus de relocalisation transfrontalier.

Les échanges ont également abordé la question des indépendants dont le statut est peu clair, peu de droits, pas d’accès à la sécurité sociale, à la formation, à la santé et à la sécurité. Le Congrès a rappelé vouloir garantir les droits sociaux et fondamentaux des femmes, jeunes au statut précaire, indépendant et travailleur de plateformes.

Enfin, affronter cette quatrième révolution industrielle ne peut s’accomplir sans des compétences cognitives, personnelles, sociales et interdisciplinaires. La formation doit être garantie à tous les travailleurs !

Le renforcement de la démocratie

Le Congrès a aussi rappelé son attachement à la démocratie, rappelant la mosaïque de cultures diverses qu’est l’Europe. Il est clair que les changements sociétaux et les politiques néolibérales alliant austérité et inégalité ont provoqué cette sortie de la sphère démocratique. C’est ainsi que les congressistes, avec toutes leurs formes d’expression, ont souligné que les droits syndicaux restent des droits humains et continueront à défendre et promouvoir les valeurs européennes de la démocratie. Les travailleurs et syndicalistes doivent pouvoir exercer leur droit de participer à des manifestations et des actions de grèves, défendre la liberté de presse, combattre toutes les formes d’autoritarisme, d’homophobie, de misogynie et de xénophobie, mettre fin au racisme et à la discrimination, s’opposer à toute forme d’antiféminisme et enfin défendre les droits LGBTQI+.

« Nous continuerons à travailler ensemble pour élaborer des stratégies globales visant à protéger les femmes après le COVID. Cela inclut le contrôle des conditions de travail et la garantie que les questions relatives aux femmes sont au cœur de l’agenda des négociations collectives », a défendu Carol Scheffer, nouvelle présidente du Comité des femmes d’UNI Europa.

L’avenir des services

Cette 5e conférence a réaffirmé les politiques adoptées lors de sa 4e conférence à Rome défendant une transition équitable pour les industries de services de l’avenir afin d’assurer une base pour le modèle social européen. Les travailleurs européens sont confrontés face aux défis importants comme les attaques contre les droits sociaux, la numérisation, le changement climatique, les accords commerciaux, etc. UNI Europa s’engage à assurer des emplois de qualité et à protéger les jeunes travailleurs entrant sur le marché du travail.

UNI Europa fera pression pour l’élaboration de législations du travail efficaces et des mécanismes solides, plaidera pour un cadre stratégique de l’UE sur la santé et la sécurité au travail intégrant les questions de burnout, d’équilibre vie privée-vie professionnelle, de TMS et fera campagne pour soutenir les lanceurs d’alerte.

La numérisation, l’industrie 4.0, la croissance de l’utilisation des mégadonnées ainsi que l’évolution de l’intelligence artificielle ont toutes un impact fondamental sur la nature et la répartition du travail. Ces évolutions posent d’immenses défis aux travailleurs. C’est pour cela qu’UNI Europa mènera le débat sur ces questions,

  • en plaidant pour des mesures nécessaires en réponse à la numérisation qui entraine inégalité des revenus, augmentation du travail précaire et polarisation de la main d’œuvre,
  • en garantissant le respect de la vie privée et des droits des travailleurs.

Les conventions collectives restent les outils les plus efficaces pour assurer un avenir durable à l’Europe. L’un des plus grands défis est la lutte contre le changement climatique et la surexploitation des ressources naturelles. Il faut donc élaborer une stratégie de transition équitable intégrant garantie des droits et de travail décent ainsi que justice fiscale. UNI Europa s’engage à influencer les politiques de recherche, à s’informer et à établir une base de connaissances, créer des coalitions et à travailler avec les partenaires sociaux, à combattre le déséquilibre entre la législation économique et la réglementation sociale et à faire pression sur le plan de relance pour qu’il soit correctement financé.

Voici donc, après plusieurs mois de travail sur les motions, trois jours de travaux, les grandes lignes de la prochaine mandature d’UNI Europa dans laquelle FO COM sera impliquée par ses différents élus au comité exécutif et dans les comités directeurs. FO COM continuera d’apporter ses contributions au niveau européen comme l’a fait au cours de la précédente mandature.

Notre mouvement syndical est construit sur les principes fondamentaux du collectif et de la solidarité. Ils ont toujours été le fondement de notre travail européen et plus largement international et nous avons réaffirmé dans ce Congrès notre identité collective au sein d’UNI Europa et notre engagement à défendre ces principes et à renforcer notre travail syndical européen pour relever les défis qui nous attendent.