40% des heures travaillées en Europe au moment de la crise du coronavirus l’ont été depuis le domicile des salariés, selon le rapport d’Eurofound1, fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail.

Le télétravail a-t-il réellement été généralisé dans toute l’Europe au moment du confinement ? La Belgique fait office de référence avec près de 52% de ses employés qui ont observé le télétravail durant la crise sanitaire.  On parle bien ici uniquement des Etats membres de l’Union. Et au sein de cet échiquier, l’Irlande s’affirme aussi comme une bonne élève, avec 47% de télétravail, à égalité avec l’Italie. Suivent l’Espagne (45%) et la France (43%). A l’inverse, les Croates ont été les Européens qui ont le moins joui de ces nouvelles dispositions pour travailler. Les Polonais et les Slovaques ont eux aussi très peu connu le télétravail durant la crise, avec un taux qui ne s’élève qu’à 21% pour chacun.

Il semble maintenant très probable que l’expérience du travail à domicile pendant la crise COVID-19 conduira à une croissance du télétravail lorsque la crise se résorbera. Dans l’ensemble, 78 % des employés interrogés dans le cadre d’une récente enquête2 ont indiqué une préférence pour le travail à domicile, au moins occasionnellement, s’il n’y avait pas de restrictions COVID-19.

La principale préférence en matière de télétravail était de travailler plusieurs fois par semaine (32 %), 13 % seulement indiquant qu’ils aimeraient télétravailler quotidiennement. Plus leur expérience du télétravail était régulière, plus ils étaient susceptibles d’indiquer une préférence pour le télétravail après la crise et à une fréquence plus élevée.

La pandémie a prouvé qu’un éventail beaucoup plus large de tâches peuvent être efficacement accomplies en dehors du lieu de travail, y compris des tâches moins qualifiées et moins autonomes. Dans la finance, dans une enquête Gartner, 74% des entreprises ont l’intention de maintenir une activité à distance. Teleperformance a indiqué qu’environ 150 000 de ses employés ne retourneront pas sur leur lieu de travail… Un employeur affirmait même dans la presse que « la baisse de productivité est plus que compensée par le fait que je peux supprimer les frais de gestion des bureaux ». De plus la technologie Zoom et Teams ajouté à des outils d’Intelligence Artificielle ont facilité la transition.

Mais quelles conséquences concrètement pour le travailleur ? Si le travail à domicile peut être salvateur (personnes fragiles par exemple), réduire les longues heures de trajet pour aller au travail, réduire l’empreinte carbone, la situation est néanmoins propice aux abus. Tous les emplois ne sont pas télétravaillables et pour ceux qui le sont, les organisations syndicales doivent sécuriser le parcours : volontariat, réversibilité, prise en charge des dépenses, fréquence, santé au travail, charge de travail, droit à la déconnexion, formation, etc.

Le travail à distance ne doit pas devenir une porte ouverte à l’informalisation et à l’ubérisation des travailleurs. Comment ne pas imaginer la transition vers des contrats de sous-traitance ou auto-entrepreneurs « payés au projet » ? Comment encadrer l’aspect intrusif de l’Intelligence Artificielle ? Quelles mesures prendre pour sécuriser le parcours de femmes assumant souvent la plus grande partie des responsabilités familiales ? Comment compenser l’isolement des collègues lié au travail à plein temps (développeur web, spadders3, centre d’appel, etc.) ? Les signaux d’alerte sont nombreux et les entreprises doivent réellement aborder le sujet en profondeur. Il ne saurait être question d’avenant minimaliste, de charte ou de décision unilatérale. Il doit s’agir d’une véritable négociation dans le cadre du nouveau monde du travail.

Parallèlement, pendant la crise COVID-19, nombre de professions – travailleurs de la santé et des soins personnels, travailleurs de l’industrie manufacturière et de l’agriculture impliqués dans la fourniture de denrées alimentaires, enseignants, travailleurs du commerce de détail – ont été les travailleurs « essentiels », leur utilité sociale étant plus que jamais évidente et reconnue et leur situation accentuée par l’exposition supplémentaire à un risque grave pour la santé.

C’est pourquoi l’accès au télétravail restera structurellement inégal, entre les « télétravailleurs à distance » dont le travail se prête au télétravail et les autres, y compris de nombreux « essentiels », pour lesquels ce n’est pas une option.

1  https://www.eurofound.europa.eu/sites/default/files/ef_publication/field_ef_document/ef20059en.pdf Eurofound (2020), Living, working and COVID-19, COVID-19 series, Publications Office of the European Union, Luxembourg

2 https://ec.europa.eu/jrc/en/publication/eur-scientific-and-technical-research-reports/teleworkability-and-covid-19-crisis-new-digital-divide

3   SPPAD : solution provisoire prise en charge d’activités à distance, d’où le nom de spadders dans les centres financiers de La Poste