Dans le cadre des discussions sur le projet de loi du budget de la Sécurité sociale, FO a fait part, le 24 octobre dernier de sa grande inquiétude, rappelant que l’insuffisance de recettes entraîne un sous-financement chronique de la Sécurité sociale.

Le Projet de Loi de Finances de la Sécurité sociale (PLFSS) 2025 s’apparente à un budget d’austérité. Son objectif est d’en ramener le déficit à 16 milliards d’euros avec, notamment, une baisse de 4 milliards pour l’Assurance maladie. Comme à l’accoutumée, les ponctions se feront surtout dans le portefeuille des assurés. Pour nos dirigeants à l’imagination indigente, on ne change pas une recette…qui perd. Doublement de la franchise médicale pour les médicaments, les actes paramédicaux ou, encore, de la participation forfaitaire chez le médecin ne découlent pas d’une intuition remarquable.
À chaque fois, en guise de justification, on nous ressort le même prétexte, la dette sociale. Il serait bon que, pour une fois, nos médias et les experts de tout acabit, stipendiés par le pouvoir, rappellent que le fameux « trou de la sécu », est, d’abord, lié aux exonérations patronales de cotisations, offertes sans contrepartie ni condition. La dette est donc, avant tout, une dette patronale et non sociale. Le montant de ces cadeaux atteint, aujourd’hui, 88 milliards d’euros entretenant les trappes à bas salaire, vecteur de précarité, sans, pour autant, améliorer l’emploi. La Sécurité sociale ne dépense pas trop pour les soins et la solidarité, elle a juste un problème de recettes. À noter qu’aujourd’hui, la cotisation représente à peine plus de 50 % du financement de notre modèle social.
À ce manque à gagner s’ajoute le désengagement de l’État qui fait supporter à la Sécurité sociale les 136 milliards d’euros de la dette COVID. Normalement, elle aurait dû être réglée en cette fin d’année. Son apurement, confié à la Caisse d’Amortissement de la DEtte Sociale (CADES) ne sera, de ce fait, effectif qu’en 2033. Recouvrée au travers de la CSG et de la CRDS, elle impacte donc tous les patients.
La résolution du Congrès de Rouen, en 2022, a rappelé que « la cotisation sur laquelle repose le financement de la Sécurité sociale représente un salaire différé. Elle est l’expression d’une solidarité dont le principe est cotiser selon ses moyens et bénéficier selon ses besoins » […] et que « supprimer la cotisation maladie de la Sécu est une erreur historique qui met en péril l’existence même du droit à la Sécurité sociale. »
Pour FO, il faut revenir aux fondamentaux et rétablir le système vertueux qu’est celui de la cotisation. Il est urgent de contrer les velléités de l’exécutif pour qui la solution passe par la TVA sociale. C’est sans appel ! remplacer la solidarité par l’impôt le plus injuste qui soit, faire financer aux Français les milliards de cadeaux offerts aux entreprises, tuerait définitivement notre système solidaire. Globalement, toute démarche conduisant à conjuguer fiscalisation, régime universel et allégement du coût du travail conduit, inéluctablement, à niveler vers le bas la couverture sociale. Ce type de système accroît les inégalités, paupérise les structures collectives de solidarité et fait la part belle aux marchés privés de la santé et de la retraite. Dans ces conditions, comment revendiquer le slogan « la sécu, elle est à nous » ?
L’origine de la Sécurité sociale c’est l’histoire de la construction sociale et économique de notre Nation. Si l’ordonnance du 4 octobre 1945 et la loi de généralisation du 22 mai 1946 sont des textes d’une importance capitale, considérer qu’elle a été créée, ex nihilo, à la libération, par le gouvernement issu du CNR, qui les a promulgués, est quelque peu réducteur.
Dès le siècle des Lumières, certaines réflexions en ont posé les bases. S’appuyant sur les travaux du comité de mendicité de l’assemblée constituante qui dégagent un double principe, «  tout indigent a droit à l’assistance de la société » et « le critère d’indigence doit être recherché dans l’impossibilité de travailler  », la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 exprime que « la société est obligée de pourvoir à la subsistance de tous ses membres soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler ».
Malheureusement ces avancées sociales, comme d’autres, comme les droits à l’instruction ou de manifester, seront empêchées par une idéologie bourgeoise triomphante, bien aidée par la loi Le Chapelier (14 juin 1791). En interdisant le droit syndical, celle-ci a plongé la classe ouvrière dans une grande misère. C’est alors le triomphe des doctrines libérales théorisées par des économistes comme Adam Smith, David Ricardo ou, pire, qui, hélas, fait encore école, Thomas-Robert Malthus. Il faudra attendre l’essor de l’industrie et le développement de la classe ouvrière pour que naissent les caisses mutualistes. Cependant leur développement sera très lent en raison de la pauvreté des salariés, de l’absence du caractère obligatoire et de la méfiance des pouvoirs publics. Sous la IIIème République, la loi du 1er avril 1898 leur permettra un véritable essor et, en 1913, elles compteront 5 millions de sociétaires. En parallèle, se forment les grandes confédérations syndicales, CGT (1895) et CFTC (1919) qui vont soutenir leur constitution. Cela contribuera à ce que soit votée, le 14 mars 1928, la création d’un ensemble d’assurances sociales, sous tutelle de l’État.

Enfin, comme évoqué plus haut, le 5 octobre 1945, sous l’impulsion du Conseil National de la Résistance, la Sécurité sociale proprement dite est née avec, comme principales caractéristiques :

  • une gestion par les représentants des salariés et des employeurs ;
  • un financement par des cotisations ( salariés et employeurs) ;
  • une refonte des assurances sociales des années 30 avec une affiliation obligatoire à un régime général ou, pour ceux qui en relèvent, un régime particulier déjà existant ;
    la reconnaissance du rôle complémentaire des mutuelles.
Georges Buisson (1878-1946) est considéré comme l’un des principaux fondateurs de la Sécurité sociale. Ami de Léon Jouhaux, en plus de ses responsabilités nationales au sein de la vieille CGT, aujourd’hui CGT-Force Ouvrière, il a été l’artisan de l’ordonnance du 24 juillet 1945, fondement de l’ordonnance officielle du 4 octobre de la même année.

Au fil du temps, la Sécurité sociale va se consolider et acquérir un caractère universel répondant aux principes de fraternité, d’égalité et de liberté. L’affiliation reposant sur le principe de la cotisation est, principalement, destinée à protéger les travailleurs et leurs ayants droits. Pour cette raison, les caisses sont gérées par les syndicats qui sont, constitutionnellement, leurs représentants. Sous leur impulsion vont être créés les régimes complémentaires tels ceux de retraite et de l’assurance-chômage. La Sécurité sociale couvre l’ensemble des risques liés à la maladie, la vieillesse, les maladies professionnelles et les accidents du travail. Elle assure également les prestations sociales afférentes à la famille.
Aujourd’hui, au-delà de la Sécurité sociale, 80 ans en 2025, c’est tout notre système social basé, répétons-le, sur la solidarité, l’égalité et la fraternité qui est en danger. Depuis le début des années 80, sous prétexte de modernisation, d’un besoin d’adaptation aux exigences économiques et mondiales, on remet sans cesse en cause le programme du Conseil National de la Résistance. Déconstruire le pacte social qui en est issu est le corollaire de de ces attaques, le but à peine dissimulé des chantres du libéralisme. La preuve, et aucun d’entre nous ne doit l’oublier, la déclaration, sans ambiguïté, le 4 octobre 2007, dans la revue « Challenges », de Denis Kessler (1952-2023), ancien numéro 2 du MEDEF et PDG du Groupe de réassurance SCOR : « Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la Fonction Publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme… À y regarder de près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes  ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance ! »

Syndicalistes mais aussi citoyens, il nous appartient de défendre la mémoire et l’œuvre des femmes et des hommes qui, au sortir d’un conflit meurtrier et destructeur, ont voulu bâtir un idéal social qui soit un rempart contre les inégalités. Au-delà d’un formidable « amortisseur » pour les temps de crise, le modèle de société qu’ils ont voulu est une force démocratique.

La Sécurité sociale en est un des plus beaux fleurons, c’est un pilier de notre République, il est de notre devoir de la protéger et de la préserver.