Les deux représentants de la direction d’Orange ont tour à tour expliqué avoir pour objectif de préserver « l’humain » à l’heure où la digitalisation « est partout », porteuse de beaucoup de progrès mais aussi de beaucoup de « dérives ». Le nouveau contrat social d’Orange s’intitule d’ailleurs « La promesse Orange : être un employeur digital et humain ».
Quand la question lui a été posée par Martine Bayard, responsable FO pour le secteur Orange, « que mettez-vous derrière les mots “salarié unique“ ? », le PDG Stéphane Richard a encore invoqué cette volonté de « préserver l’humain », soulignant : « nous voulons apporter une forme d’attention à chaque salarié, c’est une personne, un humain, avec son histoire et sa vie, et il est capital que l’entreprise le reconnaisse comme un individu différent des autres, c’est vrai pour la formation, pour le parcours professionnel…»
Indéniablement la direction d’Orange affiche une volonté de rupture avec la « gestion par le stress » qui avait abouti à la grande « crise sociale » de France Telecom, pour reprendre le terme consacré.

Mais quel meilleur moyen de « poser un cadre stable face aux évolutions » que de préserver les droits collectifs ?

Jérôme Barré, directeur des ressources humaines (DRH), a ainsi insisté sur la volonté de l’entreprise de « poser un cadre stable face aux transformations, aux évolutions », car, là encore « la finalité c’est l’humain, on veut le mettre au centre, en s’appuyant sur une valeur très forte pour nous : la bienveillance ».
Dans un monde où tout va très vite, où tous les changements se font dans l’urgence, où l’on doit faire face à la baisse des coûts, à la concurrence, aux contraintes du marché, aux évolutions techniques, ces droits collectifs doivent justement rester le socle sur lequel s’appuient les relations sociales au sein de l’entreprise. Nos droits collectifs sont garantis par le Code du travail, le statut, les conventions collectives, les accords, en association avec le principe de la hiérarchie des normes, qu’il va nous falloir défendre, ou plutôt regagner après la loi travail. Le concept de “salarié unique“ ne doit pas signifier la segmentation de ces droits », a ainsi affirmé Martine Bayard, déléguée centrale FO chez Orange.

« Quel plus bel exemple que la Sécurité sociale ! »

« Quel plus bel exemple d’un droit collectif dont nous bénéficions tous individuellement que la Sécurité sociale ! », a lancé quant à lui Pascal Pavageau, secrétaire confédéral FO, soulignant : « chacun la finance selon ses moyens et en bénéficie selon ses besoins ».
Prenant également l’exemple du CPA (Compte Personnel d’activité), il a expliqué : « le compte individuel de formation n’a de sens que s’il peut permettre à chacun de choisir ce qui lui convient le mieux dans un catalogue collectif […] Le CPA ne peut pas devenir le réceptacle de nouveaux droits individuels qui vont être prétexte à dévitaliser les droits collectifs ».

Philippe Charry, secrétaire général de la fédération FO Com a, lui, souligné l’importance de la dimension collective à travers la question des salaires, rappelant que les augmentations obtenues lors des négociations salariales annuelles (NAO) sont bien des augmentations « collectives », attribuées à l’ensemble des cadres. « Ce dont rêvent les gens c’est d’un salaire garanti, fixe, le plus élevé possible et on ne peut pas résoudre le problème du pouvoir d’achat par des primes variables, ponctuelles, distribuées ici ou là », a-t-il conclut.

Individualisation et auto-exploitation

L’individualisation et la mise en concurrence des salariés entre eux peuvent aussi avoir des conséquences négatives sur la qualité du travail. Jean-Claude Delgenes, directeur général du cabinet Technologia a ainsi donné l’exemple d’une entreprise de réparation automobile où le système de prime collective à partager en parts égales en cas de bons résultats a été transformé en système de primes individuelles accordées en fonction du type de travail fourni. Résultat : le chef d’équipe raflait systématiquement la mise ce qui a fini par démotiver le reste de l’équipe et fait baisser les résultats de l’entreprise.

Enfin, Danièle Linhart, sociologue et professeur émérite au CNRS, a rappelé que l’individualisation de la relation de travail remonte en réalité à l’après 1968, quand le patronat français a été acculé à se poser la question de l’organisation du travail : « En réalité il s’est agi d’une rupture dans la continuité, car la philosophie de l’organisation taylorienne du travail n’a jamais été abandonnée, c’est juste une nouvelle manière de la mettre en œuvre qui a été trouvée : chaque salarié doit s’appliquer lui-même l’organisation taylorienne « d’économie des temps et des méthodes », et en permanence. Il doit faire lui-même le meilleur usage de lui-même pour remplir les critères de rentabilité ».

« Vous n’êtes pas leur papa »

Quant à « l’humanisation » de la relation de travail, Danièle Linhart, a estimé que sur leur lieu de travail, « les salariés ont avant tout besoin d’être reconnus comme des professionnels », expliquant en substance qu’ils n’ont pas besoin de leur employeur pour régler les problèmes de leur vie privée et lançant avec humour à l’intention du Directeur des Ressources humaines : « vous n’êtes pas leur papa ».

Reportage réalisé par Evelyne Salaméro pour FO Hebdo.