fonction-publique

Il était une fois une grande et belle administration autofinancée de la Ve République, les PTT.
En 1989, elle ne comptait pas moins de 460 000 agents, presque tous fonctionnaires, pour gérer la banque, le courrier, le colis et le téléphone.
Après de nombreuses tentatives, par la grâce de la loi du 2 juillet 1990, les PTT ont été scindés en deux Établissements Autonomes de Droit Public (EADP), c’est le nom que leur donne Paul Quilès, Ministre des PTT de l’époque. France Télécom (qui deviendra Orange) prend les télécommunications et La Poste regroupe courrier, colis et banque. Les personnels sont inquiets. Avec un chômage massif, ce n’est pas le moment de perdre son statut.
Alors, pour faire passer la pilule, la loi prévoit 3 remparts… et une friandise.

Les remparts d’abord
  • L’article 1er de la loi dispose que les deux établissements ne sont pas qualifiés d’EPIC (Établissements Publics Industriels et Commerciaux qui en principe emploient des salariés de droit privé). Ils sont qualifiés de Personnes Morales de Droit Public, un truc que personne ne connaît.
  • Son article 29 dispose que les personnels des deux établissements sont régis par les titres I et II du statut général de fonctionnaires, sans être concernés par les catégories A, B, C et D. Les agents restent donc fonctionnaires d’État.
  • Son article 31 enfin, ne permet l’emploi de salariés de droit privé que si « les exigences particulières de l’organisation de certains services ou la spécificité de certaines fonctions le justifient ». Le recrutement sous statut est ainsi sanctuarisé.
La friandise ensuite
  • Il s’agit de grilles de fonctionnaires améliorées : via un reclassement dès 1991 puis une refondation des carrières en 1993 (les reclassifications).

devenues deux entités publiques autonomes, employant des fonctionnaires mieux payés et limitant l’utilisation de salariés à quelques emplois très spécifiques. Le monopole de service public est maintenu.
Hélas, fi des remparts, cette belle construction se révèle être rapidement un vulgaire château de cartes !
En effet, le Conseil d’État va statuer et dire qu’il n’existe que des EPA (Établissements Publics à caractère Administratif) et des EPIC (Établissements Publics à caractère Industriel et Commercial) et que, au vu de la nature des activités des deux établissements, ce sont à l’évidence des EPIC.
C’était bien là l’objectif des décideurs politiques !

Dès lors, les Directions des deux entités vont considérer que tous les emplois et services ont des spécificités justifiant le recours aux salariés. C’est ainsi que les concours de fonctionnaires laissent progressivement la place à l’embauche de salariés de droit privé.
Orange dès 1997, puis La Poste en 2010 deviennent des Sociétés Anonymes. Et oui, la loi n’est pas immuable.
Privés de tout recrutement, les corps de fonctionnaires des 2 opérateurs sont alors mis en extinction, ce qui va drastiquement limiter les possibilités de promotion.
Et la friandise ? Les fonctionnaires se trouvant exclus des catégories A, B, C et ne travaillant plus pour l’État sont oubliés à chaque réforme des grilles. En pratique, les 3 fonctions publiques (État, Hospitalière et Territoriale) nous ont rattrapé en 1996 pour nous laisser sur place jusqu’en 2016. La friandise a un goût amer…
À ce moment, à équivalence d’emplois, les différences allaient au moment de la retraite d’une soixantaine de points majorés pour la classe I à plus de 300 points pour les emplois supérieurs. Les représentants FO n’ont jamais cédé sur ce sujet, intervenant sans relâche en Conseil Supérieur de la Fonction Publique d’État, devant plusieurs directeurs généraux de la fonction publique et directeurs de cabinet de ministres, et bien sûr en demandant des négociations aux deux opérateurs.

Pour La Poste, nous avons pu obtenir une ouverture en 2015. Entre 2016 et 2022, les écarts ont été enfin rattrapés pour la classe I, le début de la classe II et le III.1, ainsi que, partiellement, pour les grades II.3, III.2, III.3 et CS. Les emplois supérieurs ont été quant à eux une nouvelle fois oubliés.
Il est à noter que La Poste avait pour une fois fait un effort. Les coupables sont bien au ministère de l’économie qui a bloqué les décrets pendant deux ans et demi, privant ainsi des milliers d’agents, devenus entre temps retraités, des bénéfices des nouvelles grilles indiciaires. Mais cela ne leur suffisait pas. Ils ont unilatéralement baissé le dernier échelon pour le II.3 et le III.3 et jeté à la poubelle les décrets concernant les emplois supérieurs (IV.3, groupe B et C). Pourtant, ces mesures de justice élémentaire ne coûtaient pas bien cher, car aujourd’hui il reste moins de 50 000 fonctionnaires dans toutes les entités de La Poste.

Pour Orange, la situation est à peu près la même, sauf pour le II.3 qui finit comme le III.1 et donc la fin de la catégorie B de la fonction publique.

Au final, le bilan de la réforme Quilès est peu reluisant. En 31 ans, on compte 130 000 emplois supprimés, la quasi-totalité des personnels sous statut remplacés par des personnels salariés moins protégés et moins bien payés, des opérateurs en difficulté et un service public de moindre qualité.
Aujourd’hui, s’agissant des fonctionnaires encore en activité, nous ne lâchons rien. La période récente avec les élections politiques était peu favorable. Mais nous allons demander une audience aux services techniques de la Première Ministre.
Les sujets ne manquent pas. Pour les II.3, III.3 de La Poste et pour les emplois supérieurs des deux Opérateurs, nous sommes très loin du compte. Il manque 10 points nets au dernier échelon des II.3 et III.3. Les emplois supérieurs partent à la retraite à 1 027 ou au mieux Hors Échelle A3 alors que les équivalents de la fonction publique ordinaire peuvent atteindre Hors Échelle D voire E, ce qui représente des centaines de points d’écart. Et chaque jour qui passe des collègues partent à la retraite. L’État français est responsable de cette situation inique, c’est à lui de réparer ce qui peut encore l’être. Nous allons demander l’aide de nos camarades de la FGF-FO, la fédération FO des fonctionnaires d’État, pour constituer une délégation et demander à être reçus. FO est un syndicat confédéré. Nos camarades nous appuieront.

De plus, ce qui est arrivé pour les deux opérateurs peut servir aux autres fonctionnaires et donner du poids à leurs revendications. Car en ce qui concerne le remplacement de fonctionnaires par des personnels hors statut, nous avons été un véritable laboratoire d’expérience.
Le gouvernement est en train d’appliquer la même méthode de mort lente aux 3 fonctions publiques. En effet, la loi du 6 août 2019 a ouvert le recrutement d’agent non titulaires (des personnels qui ne sont protégés ni par le statut ni par le code du travail), sur tous les postes sans limitation.
Quelles conséquences va provoquer cette loi ? Fatalement, il n’y aura quasiment plus de fonctionnaires dans 20 ans, compte tenu de l’âge moyen des fonctionnaires aujourd’hui.

Demain, les services publics seront privatisés. Ils auront un objectif de rentabilité et non de qualité de service aux usagers. Alors, c’est à ce moment qu’on découvrira que la protection statutaire des fonctionnaires protégeait, en fait, les citoyens et la démocratie.